Guerre dans l'Océan Indien

Nommé
Capitaine de Vaisseau le 5 mars 1781, SAINT FELIX est chargé de
conduire plusieurs personnalités à l'Ile Maurice (Ile de
France) via Le Cap à bord de la frégate La FINE
(36 canons), et d’annoncer au gouverneur du Cap
l’arrivée de renforts escortés par le Chevalier de
SUFFREN.
Arrivé à
l’Ile Maurice, il prend le commandant du BRILLANT,
vaisseau de 64 canons faisant partie de l’escadre du comte d’ORVES.
Celui-ci décède le 9 février 1782, et cette
escadre passe immédiatement sous le commandement de SUFFREN,
arrivé récemment avec 5 vaisseaux, dont quatre
doublés de cuivre, et qui ne connaît pas l’Océan
Indien. C’est un marin hardi, énergique, plein de talent, mais
jaloux, envieux, détesté de ses camarades qui le voient
avec déplaisir être investi du commandement. Il contraste fortement avec son adversaire, le
valeureux Vice-Amiral Sir Edward HUGHES surnommé affectueusement
« Mother HUGHES » pour son affabilité et l’attention
qu’il porte à ses hommes.
A MADRAS, le 17 février 1782, SAINT FELIX commande le vaisseau Le BRILLANT
(64 canons). Les anglais, convaincus de leur supériorité,
donnent la chasse aux vaisseaux français. Ceux-ci
n'obéissent que difficilement aux signaux, et l'action ne
peut commencer que tardivement. Conformément au plan
prévu, Le BRILLANT et Le FLAMAND
(56) maintiennent la ligne en arrière garde, combattant à
grande portée de l’adversaire et provoquant la fureur de SUFFREN
parti seul au contact de l'ennemi. Suite à un signal trop discret
du chevalier, L’AJAX (64) et Le FLAMAND ont l’ordre d’attaquer sous le vent. Le FLAMAND ne manœuvre pas et cède sa place au BRILLANT. Monsieur de SAINT FELIX attaque avec vigueur L’EXETER qu’il met hors de combat et le force à amener son pavillon. Malheureusement pour Le BRILLANT, le feu mal dirigé de L’AJAX lui cause des avaries, le force à renoncer à la prise de ce vaisseau et à laisser sa place au FLAMAND.
Un signal de ralliement hâtif de SUFFREN fait perdre cette
occasion de mettre en échec l'escadre anglaise.
Pour SUFFREN, "excepté Le BRILLAND
qui a doublé par la queue, aucun vaisseau n'a été
aussi près que le mien, ni essuyé autant de coups". Dans
son rapport à Monsieur de CASTRIE, il précise : "Le BRILLANT et Le FLAMAND,
commandés par MM de SAINT FELIX et CUVERVILLE, ont doublé
par la queue; ils méritent l'un et l'autre des éloges,
mais surtout M. de SAINT FELIX, qui n'en avait pas l'ordre, qui s'est
battu de bien près et a eu dix-huit tués et cinquante
blessés. Il mérite récompense. Je
désirerais que M. de SAINT FELIX eût une pension de huit
cents livres sur Saint Louis, M. de CUVERVILLE la haute paye".
SAINT FELIX se signale à nouveau par sa belle manière le
12 avril, devant l'Ile de PROVEDIEN
sur la côte de Ceylan. Les anglais ont longtemps
cherché à éviter le combat. SUFFREN
commande Le HEROS
(74) qui, doublé de cuivre, est sensiblement plus rapide que les
autres vaisseaux de son escadre. Il précède de quelques
minutes L’ORIENT (74) du commandant de La PAILLIERE et Le FLAMAND qui attaquent le centre de l’armée anglaise. Monsieur de SAINT FELIX vient audacieusement attaquer Le MONARCH, supérieur en force à son vaisseau Le BRILLANT. Le HEROS de SUFFREN combat Le MONMOUTH
qu'il démâte, mais l'amiral anglais HUGUES accourt
à son aide. Le chevalier de SUFFREN subit alors de fortes
avaries et doit s'éloigner. Le BRILLANT
met un instant en panne pour le protéger et combat l'amiral
anglais. Celui-ci, ses voiles en lambeaux, ne peut qu'aller s'abriter
derrière Le MONMOUTH qui dérive entre les deux lignes. L'ORIENT
demande alors un soutien, ayant le feu à bord, le gouvernail
hors d'usage et sa coque perforée par plusieurs coups de canon.
Pendant trois quarts d'heure, Le BRILLANT le protège, lui donne le temps de rétablir sa situation et de se remettre en ligne. Le BRILLANT
reprend alors lui aussi la ligne de bataille et comble l'absence de
plusieurs vaisseaux désarçonnés qui s'en
étaient écartés.
A la fin des combats, le commandant de L'ORIENT vient à bord du BRILLANT
pour remercier et féliciter SAINT FELIX et son équipage,
dont 52 hommes sont hors de combat et le vaisseau très
endommagé. SUFFREN fait compléter l'équipage du BRILLANT avec
des hommes venant des autres vaisseaux, ce qui est une marque de
reconnaissance inhabituelle envers son capitaine.
Deux
mois plus tard, le 6 juillet, c’est la bataille navale de NEGAPATAM, devant Trinquebar. Elle s'engage mal pour les français: une bourrasque soudaine démâte L'AJAX.
Celui-ci se retire de la ligne qui ne s'établit
qu'imparfaitement. Une partie de la flotte reste loin en
arrière, et le poids de la lutte retombe sur les vaisseaux
d'avant. Ce sont encore M. de SAINT FELIX et SUFFREN qui, à eux
seuls, tiennent tête aux bordées ennemies.
Précédent Le HEROS, Le BRILLANT
combat un vaisseau de 74 formant la tête du corps de bataille
anglais. En abandonnant soudainement son poste, SUFFREN laisse à
SAINT FELIX la lourde tache de tenir tête durant deux heures avec
son navire à trois vaisseaux de 74, dont l'amiral anglais, qui
le canonnent à portée de pistolet "par son travers, son
bossoir et sa hanche". Grâce à son
opiniâtreté et son acharnement, il contrebalance la
supériorité de ces vaisseaux, et l’anglais ne parvient
pas à couper notre ligne. Cependant, Le BRILLANT
est fortement affaibli par la perte d’une partie de son équipage
(47 morts et 137 blessés) et par la chute de son grand
mât. Il doit se défaire de son gréement
tombé à la mer sous le feu des vaisseaux ennemis pour
rejoindre les autres vaisseaux français regroupés
à distance.
SAINT FELIX est accueilli avec le témoignage de la plus vive
reconnaissance par Monsieur de SUFFREN, et malheureusement pour lui,
par les éloges et l'enthousiasme appuyé des armées
de terre et de mer lorsqu'il accompagne SUFFREN à Gondelour. Ces
marques d'une haute estime déplaisent au chevalier. Dès
ce moment, il porte à SAINT FELIX une aversion profonde et lui
promet, avec sa rancune et sa jalousie toute
méridionale, de lui nuire autant qu'il lui serait
possible. Il fait au ministre de la marine un rapport où les
exploits de son subordonné sont presque passés sous
silence. SAINT FELIX le sait. Mais il se venge à sa
manière, la plus noble.
Dans les premiers jours d'août 1782, l'escadre anglaise se
réunit à Madras pour embarquer des troupes dont SUFFREN
ignore la destination. Il reçoit le renfort des vaisseaux SAINT MICHEL et ILLUSTRE, de la frégate La CONSOLANTE et du cutter Le LEOPARD. Il fait alors débarquer le 27 août des troupes dans la baie de TRINQUEMALE,
persuadé que l'attaque de cette ville ne pouvait
être qu'un coup de main pour faire diversion. La place forte
capitule le 29. SUFFREN est encore à terre lorsqu'on signale
l'arrivée de l'escadre anglaise le 3 septembre. La surprise de
voir le pavillon français désorganise l'escadre anglaise,
ainsi qu'un fort coup de vent. Les vaisseaux français
dérapent sur leurs ancres; Le FLAMAND dérive sur L'ORIENT et Le HEROS aborde L'ANNIBAL.
Malgré l'opinion de son conseil, SUFFREN veut combattre les
anglais qui s'éloignent. SAINT FELIX a cédé le
commandement du BRILLANT à Monsieur de KERSAUZON et dirige alors L’ARTESIEN
(64) dont le bordé est particulièrement renforcé et dont la coque couverte
de cuivre lui permet de disposer de meilleures qualités marines.
Accompagné par Le SAINT MICHEL,
il rejoint rapidement la ligne ennemie. Mais le signal d'arriver
donné à toute l'escadre et appuyé d'un coup de
canon est pris pour celui d'attaquer, ce qui se fait dans la plus
grande confusion. Le vaisseau amiral est complètement
entouré par l’ennemi. SAINT FELIX se rend compte de l'isolement
du HEROS de SUFFREN
resté en arrière garde, démâté de son
grand mât, du perroquet de fougue et du petit hunier. Celui-ci,
furieux et désemparé, ne songe qu'à périr
glorieusement. Il ordonne de charger à double projectile et
à mitraille, sacrifiant ses derniers boulets. Une balle coupe la
drisse de son pavillon qui s'abat. SAINT FELIX fonce avec son
bâtiment sur l’avant-garde ennemie qui se dirige vers le vaisseau
amiral français et combat seul les trois premiers vaisseaux. Une
canonnade terrible éclate, et L’ISIS (50) et Le HEROS
anglais sont obligés de quitter leur ligne, SAINT FELIX tenant
le troisième en respect. La confusion règne dans la
flotte, et chacun combat "à l'aventure". Malgré cette
puissante diversion de L’ARTESIEN,
SUFFREN reste en mauvaise position et, après ses 1800 coups,
tire à blanc pour cacher le manque de munition. Il faudra une
nouvelle intervention magnifique, quoique tardive du BRILLANT et de L’ARTESIEN pour chasser les trois anglais qui cernaient Le HEROS,
et les obliger à se retirer après un terrible corps
à corps. SAINT FELIX poursuit l’ennemi, puis revient à la
nuit tombée en véritable triomphateur de cette
mémorable journée.
Une
nouvelle fois, SUFFREN omet de relater ces faits qui ne lui sont pas
favorables et se plaint d’un manque de discipline de L'ARTESIEN et du SAINT MICHEL
qui auraient provoqué le désordre de son escadre.
Sachant
que rien de décisif ne peut être entrepris durant la
mousson, Messieurs de TROMELIN, de SAINT FELIX, de La LANDELLE et de
GALLES demandent et obtiennent le 13 septembre de se rendre en
permission dans la colonie de l’Ile Maurice sur Le PULVERISEUR.
SUFFREN se prétend choqué par ce départ de SAINT
FELIX, pourtant fortement touché par la maladie, qu’il
interprète comme une cabale, tant les relations entre le Bailli
et ses commandants étaient houleuses. Dans sa correspondance, il
justifie sa permission comme suit: " J'ai été trop
mécontent d'eux pour ne pas la leur accorder avec plaisir
". Il déclare ne plus avoir besoin d’un tel commandant qui
l’abandonne au moment où son escadre en aurait le plus besoin.
Le gouverneur général de l’Ile de France est
informé, et SAINT FELIX en est profondément
affecté.
Le
lendemain, l'escadre française fait route vers
Trinquemalé, mais L'ORIENT
s'échoue sur la Pointe Sale à l'entrée de la baie,
et sa vétusté ne permet pas de le conserver. Dès
que l'escadre est au mouillage le 17 septembre, on répare
les vaisseaux sur place, avant de repartir sur le port de Gondelour
sérieusement menacé par les troupes anglaises. SUFFREN y
arrive le 4 octobre. A l'atterrissage, c'est au tour du BIZARRE
de s'échouer. La côte n'étant pas
tenable durant la mousson, l'escadre anglaise se réfugie
à Bombay, alors que les français partent vers
l'Ile de
Sumatra.
Lorsqu'il qu'il peut reprendre la mer, SUFFREN aide le
Général BUSSI à débarquer des troupes et se
hâte de rejoindre Trinquemalé en évitant l'amiral
HUGHES qui dispose de 17 vaisseaux en état. Dès
que les 15 vaisseaux français sont réparés et
nettoyés (radoubés), ils reprennent la mer vers Gondelour
qui est encore menacé.

Après avoir quitté l'Ile Maurice le 10 décembre,
SAINT FELIX est nommé second sur Le FENDANT (74) du Commandant de PEYNIER. Au combat, il occupe la fonction de Capitaine de
Pavillon,
en charge de la coordination des manoeuvres. En effet, suite à
la capture de l’Amiral de GRASSE lors de la bataille des Saintes (12
avril 1782), le ministre de la marine a envoyé un ordre pour
éviter d’exposer SUFFREN à une éventuelle capture;
celui-ci doit suivre à distance les combats devant GONDELOUR le 20 juin 1783 depuis la frégate CLEOPATRE.
En confiant ce poste à SAINT FELIX, il peut ainsi justifier son
souhait de ne pas lui attribuer de commandement, lui interdisant un
probable succès en son absence.
SAINT FELIX n’a pas laissé de note sur cette bataille. Il a
été rapporté cependant que SAINT FELIX et du
CHILLEAU se distinguent parmi les meilleurs. Le FENDANT, après avoir réduit L’INFLEXIBLE, est venu prendre corps à corps Le GIBRALTAR
de 80 canons. SAINT FELIX a été
blessé dans ce combat, tandis que le feu a
éclaté
dans la hune d’artimon du FENDANT, obligeant PEYNIER à sortir prématurément de la ligne de bataille.

Dès le lendemain de cette bataille, SAINT FELIX retrouve un
commandement sur le FLAMAND. La
paix est annoncée le 29 juin, et l'escadre de SUFFREN prend le
chemin du retour le 3 janvier 1784. SAINT FELIX ramène Le FLAMAND
à Rochefort en compagnie de sa famille et s'installe au
château de Maurémont que lui ont légué ses parents.
Pour aller plus loin…
http://perso.club-internet.fr/fredbey/Suffren_Homme.doc
Une analyse sans complaisance de la personnalité et de la
tactique de SUFFREN
http://xenophongroup.com/mcjoynt/suffren.htm
SUFFREN vu par les Anglais. Très bien documenté.
http://xenophongroup.com/mcjoynt/marine.htm
Dans la même série, la Royale durant la guerre
d’Indépendance. Superbe.
http://groups.msn.com/JacquesKanon/introduction.msnw
Un site en français, bien documenté sur la Royale
à la fin du XVIII ème siècle
http://www.stratisc.org/pub/pub_hcb_gsmXVIII_3.html
Une présentation remarquable de la stratégie navale au
XVIIIème siècle.
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