Captivité et retour en métropole
 
            Le 12 août 1793, La CYBELE revient d’une croisière en Inde avec, pour prise, un brick richement chargé pour le compte des anglais. Cet évènement encourage la cupidité de certains armateurs, dont Jean Baptiste COUVE de MURVILLE, qui, sous prétexte de venir en secours à Pondichery, envisagent d’armer des corsaires dans la perspective de profits rapides. De nombreuses pétitions sont envoyées dans ce sens à l’Assemblée Coloniale, demandant le départ des dernières frégates de SAINT FELIX. De son expérience en Méditerranée, celui-ci sait combien ces pratiques, qui seraient immédiatement reprises par d’autres pays, peuvent être néfastes au commerce. Il a la conviction que d'éventuels secours arriveraient trop tard pour éviter la chute de Pondichery, et qu'un engagement naval qui mettrait à mal sa flotte ne lui permetterait pas de revenir suffisemment vite pour éviter une contre-attaque de la flotte anglaise sur l'Ile Maurice et La Réunion.

          Les pressions de l'Assemblée Coloniale deviennent insupportables, favorisées par des rivalités à l'intérieur de son propre état major. Chaque hésitation est immédiatement portée sur la place publique et contestée par une assemblée qui sort du cadre législatif qui lui avait été fixé et privilégie largement les intérêts particuliers. SAINT FELIX fait prendre la mer à ses frégates pour étudier la situation avec ses officiers et les équipages, à l'abrit de toute agitation. Il rassemble sur le gaillard de La CYBELLE 20 représentants de chaque frégate, auxquel il joints une délégation de la Société des Amis de la Liberté et de l'Egalité. Il fait lecture des ordres successifs reçus de métropole, et commente point à point sa position sur les évènements récents et la priorité qu'il entend donner aux convois marchands indispensables à l'économie des Iles Mascareignes. Il reçoit une approbation et un soutien unanime des équipages.  
 
            L'assemblée coloniale est alors très remontée par l'opposition affichée par le Vice-Amiral. De nombreuses calomnie circulent à son sujet et à celui de ses proches. Il charge DECRES, qui rejoint la Métropole avec l'escorte d'un important convoi, d'un message secret daté du 7 octobre destiné au ministre de la marine. Il y expose de façon poignante ses difficultés, et fait un éloge appuyé de son majors de division, DECRES, et de 2 de ses officiers dont le lieutenant RENAUD commandant La PRUDENTE. L'histoire lui donnera raison.

            Fatigué et malade, SAINT FELIX envisage de se retirer à terre, et de laisser temporairement le commandement à l'officier que la discipline désignait. Mais un certain commissaire public, LEBOUCHER, le déclare suspect. SAINT FELIX est destitué par un premier arrêté du Comité de Salut Public le 30 novembre 1793 qui est refusé par le Gouverneur Général, puis par un nouvel arrêté de déchéance quelques jours plus tard contre lequel il réclame avec énergie les 12 janvier et 20 février 1794. Son logement est pillé, et LEBOUCHER met sa tête à prix pour 20 000 livres. Après avoir tenté plusieurs semaines d'échapper aux furieux dans l'Ile de La Réunion, il se constitue prisonnier et est immédiatement mis aux fers, avant d'être emprisonné à l'Ile Maurice avec le Général DUPLESSIS, gouverneur de la colonie et quelques autres notables, le 29 avril 1794.
 
            Les craintes de SAINT FELIX étaient pourtant justifiées. En octobre 94, ses frégates La CYBELE et La PRUDENTE  doivent combattre deux vaisseaux anglais sous la direction du capitaine de Vaisseau RENAUD, ce qui fût l'une des rares victoires navales de la jeune République.

            L’amiral perd alors tous ses biens et effectue un séjour de 18 mois dans une prison infecte. Les conditions de privation et d’hygiène sont telles que sa santé en demeurera profondément affectée. SAINT FELIX n’a d’autre consolation que de correspondre de temps à autre, par émissaire secret, avec un jeune officier qui lui avait été confié par sa famille. Il n’est autre que  le Comte de VILLELE, voisin de l’Amiral en Lauragais, futur maire de Toulouse et ministre de Charles X. Celui-ci épousera une créole de la Réunion, fille de la célèbre et controversée  Madame DESBASSAYNS de RICHEMONT.
 
Portrait Armand de Saint Félix

           A sa sortie de prison - à la réaction thermidorienne - l’amiral de SAINT FELIX n’est plus que l’ombre de lui-même. Il séjourne de nombreuses années à l'Ile Maurice où il rencontre à plusieurs reprises un aventurier anglais, Matthew Flinders, qui le décrit dans ses récits comme " a brave old seaman who had lost his fortune in the revolution" . Il rentre en France en 1810, à l’âge de 73 ans, dépossédé de tous les biens, en Bretagne comme à l'Ile Maurice, qui faisaient la fortune de son épouse décédée en 1793. La flûte L'ESPERANCE qui le ramène est prise devant Bordeaux par la frégate anglaise LA LICORNE. Prisonnier à nouveau, il est débarqué sur l'île d' Houat le 26 avril en compagnie de son fidèle serviteur mauricien. L’Empereur lui accorde une retraite de 6 000 francs. Et, au retour des BOURBON, il reçoit enfin de Louis XVIII la Grand’Croix de l’Ordre de Saint Louis, qui lui avait été promise vingt ans plus tôt. Il est fait Marquis de Maurémont.
 
            L’Amiral de SAINT FELIX devait mourir quelques années plus tard, le 10 août 1819, dans le château de son enfance à Cajarc où il s’était retiré au calme, laissant à ses enfants le vaste château de Maurémont. Il avait quatre enfants dont deux fils. L’aîné, Armand Joseph fût préfet du Lot et de la Vienne. Le second, Philippe Joseph s’installa à la Réunion.
 






Pour aller plus loin…
 
Et Lapérouse ?  SAINT FELIX et LAPEROUSE se sont souvent cotoyé depuis leur plus jeune âge. Pourtant, leurs relations restent méconnues.

Une biographie détaillant la période révolutionnaire et la captivité     proposée par la mairie des Cabannes où se situe le château de Cajarc


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