Suite de la campagne de l’Inde de l’Escadre commandée par Mr le Bailly de Suffren à la côte de Coromandel
Du 6
juillet 1782
Le vent du SO
au SO ¼ O, joli frais. A 5h ¼, signal d’appareiller. A 5h
¾, le Général fait signal de former l’ordre de
bataille dans l’ordre renversé, les amures à
bâbord. Chaque vaisseau a manœuvré en conséquence.
L’Ajax,
qui
avait démâté la veille de son grand mât
d’hune a fait signal au Général qu’il ne
pouvait
exécuter son ordre (je ne sais pourquoi le Capitaine n’a
rien fait pour réparer ou remettre en place le mât
d’hune dont il avait démâté la veille). A 7h,
le
Général a fait signe à la première Division
de tenir le vent. A 7h ¼, le Capitaine de l’Ajax n’a
pas eu
honte de demander à relâcher, ce que le
Général a refusé. De suite, signal à la
seconde Division de serrer la ligne. A 8h, signal de virer vent de vent
par la contre marche et prendre les amures à tribord.
L’Escadre
anglaise composée de 11 vaisseaux courait la même
bordée et nous restait au S ¼ SO au SO. Nous
étions à trois lieues de terre. De 8h à midi, beau
temps, le vent du O ¼ SO à OSO, joli frais gouvernant du
Sud au S ¼ SE. A 8h et ¼, le Général a fait
signal au Bizarre de diminuer de voile. Ce Capitaine a répondu
qu’il ne comprenait pas le signal. Un instant après, signal au
même vaisseau de faire servir dans toutes les occasions, et de
suite le Général a fait signal de virer vent de vent et prendre les amures à
tribord. Chacun a fait la voilure convenable pour tenir son poste.
A 8h ½,
signal au Bizarre de tenir le vent, les amures à bâbord.
Je pense que le major s’est trompé, et qu’il voulu faire signal
au Vaisseau de tenir le vent les amures à tribord. A 8h
¾, signal au Sphinx de serrer la ligne. A 8h 50 m, le
Général a fait signal à toute l’Escadre des amures
à tribord. A 9h, les anglais ont viré de bord et pris les amures à tribord. A 9h
¾, signal à la seconde Division de serrer la ligne. A la
même heure, signal à la Bellone d’aller parler au
Général..
A 10h 35m,
signal de commencer le combat, les deux Escadres au même bord,
les anglais au vent et bien en ligne. L’Annibal français a
commencé à tirer et, un instant après, le combat a
été général jusqu’aux derniers vaisseaux de
l’arrière garde qui ne se trouvaient pas à portée
de combattre les ennemis qui, dans cette partie, tenaient plus le vent
que leur corps de bataille et leur avant-garde, ce qui rendait
l’arrière garde des deux escadre spectateur des coups qui
se donnaient à leurs avants gardes et corps de bataille.
Le feu était extrêmement vif.
Dans cet ordre
de bataille, j’étais matelot d’avant du
Général.
J’avais à combattre le Sultan de 74 canons. Les
Généraux combattirent l’un contre
l’autre, notre Général ayant en son
grand hunier
dégréé, se laissa acculé et
me laissa le
Général anglais et le Sultan à
combattre. Fort peu
de temps après, il se laissa acculer du 3ème
vaisseau de 74, et me laissa sur les bras les 3
vaisseaux de 74 formant le corps de bataille ennemi qui
m’ont, tous les
3 bien serrés, combattu 2 grosses heures à demie
portée de fusil. Mon
équipage n’en fût point
effrayé, plein de confiance
en moi. Ils se battirent comme des lions en faisant un feu
considérable. Mes officiers pleins de valeur et de
prévoyance se portent partout et réparent autant
qu’il
est en leur pouvoir les désordres qui ne peuvent manquer
d’arriver dans un combat aussi disproportionné que
meurtrier.
Je
réparais la perte de mes batteries tant qu’il me resta du monde
sur mes gaillards. Mes mâts ont été absolument
dégréés, mon grand mât fût
coupé à mi et ¾, ainsi que mon perroquet de
sougue. Au moment où l’on vint me demander du monde pour les
batteries, j’étais bien loin de pouvoir leur en envoyer ;
à cette époque, j’étais seul avec mon capitaine d’armes sur mon
gaillard derrière, démâté de mon grand
mât.
Le Sultan et
le Monarque du corps de bataille anglais, qui jusque alors avaient
divisé leurs feux, partie sur moi et sur celui qui était
devant et derrière moi, réunirent tous leurs feux sur moi
en manoeuvrant pour m’envelopper, projet qui n’était pas
difficile à exécuter attendu que, n’ayant point de grand
mât ni de voile, ayant par conséquent moins dérivé que mon
escadre, je me trouvais entre les deux lignes. Mon grand mât avec
tout son emblai que j’avais à la traîne m’empêchait de gouverner.
Je ne connu
d’autre moyen pour me tirer de presse en rentrant dans ma
ligne qu’en
faisant monter tous les gens qui restaient à ma seconde
batterie, en leur ordonnant de sortir en dehors du vaisseau pour couper
toutes les rives des manœuvres qui retenaient mon
mât à la
traîne. Après les efforts incroyables de mon brave
équipage, je parvins à me débarrasser
de
mon mât au moment où j’allais
être coulé ou
fait sauter en l’air, car il était impossible que
j’évitasse l’un de ces deux
évènements.
Mon mât
dégagé, j’obéis à mon gouvernail. Je
renvoyai mon monde à la seconde batterie qui recommença
son feu avec autant de vigueur et de zèle qu’auparavant, rentrai
dans ma ligne un instant après. Le combat cessa partout à
2h ½.
La
nécessité de vaquer aux besoins de mon vaisseau m’ont
empêché de voir ce qui s’est passé dans
l’arrière garde de notre Escadre, ni les signaux qui peuvent s’y
être fait pendant le combat. Les ennemis tiennent le vent pour se
rendre au mouillage de Mégapatnam. Le Général
m’envoya la Bellone à 4h pour me remorquer. A 5h, l’Escadre
anglaise mouilla à Négapatnam. Il ne me restait pour
voilure que la misaine et le petit hunier dont tous les bras, boulines,
les écoutes étaient coupés. Le mât de
misaine, fort endommagé par 9 coups de canon qui le
perçaient de part en part, menaçait d’une chute d’autant
plus prochaine que tous ses haubans étaient coupés. Il
était pressant de l’assujettir. C’est à quoi je
travaillai en frappant des candelettes. Mon petit mât d’hune
menaçant de tomber, personne ne voulait monter en haut
pour aller épisser les haubans qui étaient tous
coupés, frapper des écoutes, bras et boulines. Mon brave
équipage qui ne craignait aucun danger pendant le combat se
refusait de monter en haut
pour en réparer les désordres que le combat avait
occasionnés. Après les avoir exhorté à ne
pas se laisser intimider, je leur ordonnai de monter et à un
officier de leur montrer l’exemple. L’ordre fût
exécuté par Monsieur le Chevalier de Cornellieu et,
à son exemple, tout l’équipage le suivi et
serrèrent le petit hunier qui, n’étant qu’en
bannière, m’aurait indubitablement fait démâter de
mon mât de misaine, et ce travail se fît heureusement sans
accident.
A 6h, le
Général a fait signal de mouiller avec une ancre
de
détroit. Je n’ai pu exécuter cet ordre
qu’à 6h
½ et avec une grosse ancre. Je fis de suite travailler
à réparer tout ce que je pus des avaries que
le combat avait occasionné. Je n’ai pu
être instruit dans
le moment des pertes que j’ai faites dans le combat, ce sera
pour
demain.
Point
d’évènement pendant la nuit. Le vent du SE au SE ¼
E, petit frais. J’ai fait faire l’appel. De mon équipage, j’ai
perdu dans ce combat 51 hommes de tués, 133 hommes de
blessés, en tout 184 hors de combat.
Le 7 au matin,
nous avons appareillé et fait route pour Gondelour. Je suis
toujours remorqué par la Bellone, ne pouvant me servir que de ma
misaine et de mon petit hunier. A 7h du soir, j’ai mouillé
devant cette place où le Général n’a
mouillé que le 8. Dans la matinée, de suite il a mis
flamme d’ordre pour avoir l’état de la situation de son Escadre.
Je me rendis de suite à son bord et lui rendis compte des
énormes pertes que j’avais faites en tout genre.
Le
Général, qui vint au devant de moi, m’embrassa et
me
témoigna de la satisfaction sur ma conduite dans le dernier
combat. Ce général toujours mécontent des
mêmes Capitaines qui l’avaient mal
secondé dans les premier et le second combat me fit part de la
résolution qu’il avait prise de les renvoyer. J’eu
l’honneur de lui répondre qu’il eut
été
avisé pour le bien de l’Etat qu’il eut pris ce parti
là
plus tôt, mais comme dit le proverbe « Il vaut mieux tard
que jamais ». Je me dis qu’il allait me donner le choix du
commandement du Vengeur ou de l’Artésien, et
j’acceptai ce
dernier.
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