blason Saint Félix Suite de la campagne de l’Inde de l’Escadre commandée par Mr le Bailly de
Suffren à la côte de Coromandel

 
 
                    Du 12 avril 1782
 
 
 
            Le vent au NE, joli frais, le temps sombre avec de la pluie par intervalle. A 7h. du matin, ayant bien reconnu l’Escadre anglaise dans le vent entre 3 et 4 lieues de distance, courante au SO toutes voiles dehors, nous les avons chassé toutes voiles dehors. A 9h., voyant sans doute qu’ils ne pourraient pas gagner le port de Trinquemalé sans courir le risque d’être coupés par la nôtre, ils prirent le parti de se mettre en bataille sous petite voile, les amures à tribord.
 
            A 9h et ¼, le Général a fait signal de gouverner au S/4SO et en même temps de se former en bataille dans l’ordre naturel sur la ligne du plus prêt tribord amure. A 10 h., le commandant a fait signal au Bizard d’arriver ; à 10h. ¾, le commandant a fait signal au Vengeur, chef de file, de diminuer la voile. A 11h., le commandant a fait signal au Vengeur de faire servir. A 11h. ½, signal au diligent de passer à Poupe du Général. A midi, signal à toute l’Escadre de gouverner à OSO. Nous étions pour lors assez bien en ligne de bataille en courant à OSO. L’escadre se trouvait en échéquier. Le vent a tête toujours au NE, joli frais, le temps sombre et avec de la pluie par intervalle.
 
            A midi, signal de l’Orient de forcer de voiles. A midi 40 m., signal à la seconde division de forcer de voiles. A midi ¾, signal à l’Artésien de faire servir. Peut après, signal au Vengeur et à l’Artésien de forcer de voiles. A une heure, signal au Sévère d’arriver avec celui de forcer de voiles. A une heure et ¼, le Vengeur se trouvant par le travers du chef de file ennemi a commencé à tirer sur lui, quoiqu’à mes yeux le Vengeur fût trop loin pour engager le combat. L’anglais lui a cependant répondu.
 
            A une heure et ½, on a réitéré au Vengeur le signal d’arriver, et en même temps signal à la seconde Division de forcer de voiles. Le Brillant, qui a nette le chef de file était à cette époque assez près de l’Orient, son matelot d’avant. A une heure 40 minutes, les 7 premiers vaisseaux avaient engagé le combat. Le Sévère, matelot derrière du Brillant, se trouvait trop au vent avec l’arrière pour faire feu. Il est cependant venu prendre son poste. Il a été suivi par l’Annibal français qui, pour serrer la ligne, a pris le poste de l’Ajax qui n’a pas jugé à propos de se mettre en bataille.
 
            A deux heures, on combattait partout. Le Sphinx, l’Annibal anglais, le Héros, l’Orient et le Brillant faisaient le plus grand feu. Le Sévère n’est pas toujours resté à son poste ; il tint le vent sans avoir aucune raison apparente qui l’y obligea. Il a fait un vide dans la ligne qui a fait diriger le feu de l’ennemi qui lui était destiné sur le Brillant et sur l’Annibal français qui a manœuvré pour remplir cette place vacante sans pouvoir y parvenir. J’ai perdu de vue le reste de l’arrière garde.
 
            A deux heures, signal d’approcher l’ennemi à portée de pistoles. Le Héros, l’Orient, le Sphinx et le Brillant étaient à cette époque dans le plus fort du combat, attendu que les vaisseaux ennemis qu’auraient pu occuper le Vengeur et l’Artésien s’ils avaient tenu leurs postes, se sont repliés sur le Sphinx et le Petit Annibal qui a été obligé de tenir le vent sur le Héros, l’Orient, le Brillant et Sphinx. Chacun de ces vaisseaux était combattu par plusieurs vaisseaux ennemis. Aussi, les trois premiers vaisseaux ont été fort mal traités dans leurs gréements ; cela n’a pas empêché qu’à 3h ¾, le Héros n’ait démâté un des vaisseaux qu’il combattait de son grand mât et de celui d’artimon. Le feu continuait toujours à être très vif lorsqu’à 3h ¾, l’Orient a fait signal d’incommodité. Me trouvant son matelot derrière, je mis de la voile pour aller à son secours. Je me mis par son travers et le couvris de mon feu pendant ¾ d’heure et lui donnais par ce moyen le temps de se réparer. J’ai essuyé pendant tout ce temps le feu de deux, et par intervalle de trois vaisseaux qui m’ont fort mal traité dans mes manœuvres désemparées et à deux canons. Cela ne m’a pas empêché de faire un feu continuel et très bien servir, ce qui fait l’éloge des officiers qui commandaient les batteries et de ceux qu’ils avaient sous leurs ordres.
 
            Après 3/4h de temps que j’ai couvert de mon feu l’Orient, il s’est trouvé en état de recommencer son feu, mais bien moins vif qu’auparavant. Je repris mon poste derrière lui. A cette époque, le Sphinx qui était devenu le premier de l’avant-garde a été assez mal traité pour être obligé de tenir le vent. Le Héros qui ne l’était pas moins dans son gréement en fait autant.
 
            A 4h, le Général a fait signal de virer de bord vent arrière tous en même temps pour toujours combattre les anglais au même bout, lesquels avaient viré un moment auparavant pour pouvoir prendre à la remorque leurs vaisseaux démâtés. Après avoir viré de bord, je me suis trouvé le dernier vaisseau de ma Division. J’ai continué à combattre le dernier vaisseau de la ligne anglaise qui ne m’a pas rendu un seul coup de canon, quoique je n’en fusse pas à une grande proximité, je dois l’avoir fort endommagé.
 
            J’ai cessé mon feu à 6h ¼. A cette époque, il ne se tirait plus que quelques coups de canon. Dans la partie de l’avant-garde qui terminèrent après 5h ½ de 6h ½, le combat avait cessé partout. A cette époque, signal à toute l’Escadre de tenir le vent. A 7h ½, signal à toute l’Escadre de virer vent devant pour prendre les amures à bâbord. J’ai essayé en vain d’exécuter cet ordre, toutes mes manœuvres coupées ainsi que la plus grande partie de mes haubans. J’ai été forcé de virer vent arrière, manœuvre très dangereuse à cause de la grande proximité où je me trouvais de terre. Je suis cependant parvenu à exécuter cette manœuvre sans accident. A 8h ¾, signal de mouiller mon ancre de détroit par 8 brasses et demie, fond de sable. J’ai fait filer 30 brasses de câble. Le ciel pour lors était chargé de toutes part de beaucoup d’éclairs, de tonnerre et de pluie.
 
            Inspection du vaisseau le Brillant après le combat. Mes deux mâts d’hune hors de service, ma seconde vergue d’hune de rechange coupée, mes bas mâts offensés mais légèrement. Il a resté un gros boulet dans le grand, 6 corps de canon à l’eau, deux mantelets de sabord coupés, 4 affûts brisés, 2 canons dont le tourillon a été cassé. J’ai eu 18 hommes tués et jetés à la mer pendant le combat, 10 qui ont été blessés mortellement, et 24 qui ont eu des blessures susceptibles de se rétablir ; total 52 hommes hors de combat.
 
            A la pointe du jour, je me suis rendu à bord du Général pour lui rendre compte des évènements mentionnés ci-dessus. Il m’a témoigné du contentement de ma conduite. Nous sommes restés depuis le 12 jusqu’au 18 à une portée de canon de l’Escadre anglaise à nous réparer chacun de notre côté. La fortune qui accompagne toujours cette nation leur a procuré une espèce de fort défendu par des récifs sur lesquels partie de leur Escadre a touché, ce qui nous les a rendu inaccessibles. Sans cette heureuse rencontre sur laquelle ils n’avaient pas compté, nous les aurions infailliblement détruits.
 
            En rendant compte au Général de ce qui me concernait dans cette journée, je pris la liberté de lui rappeler ce que je lui dis en lui rendant compte de la journée du 17 février,  « qu’il était difficile de ne pas se laisser tromper par les hommes, mais qu’après l’avoir été, il était dangereux de s’y exposer une seconde fois.  Car vous ne pouvez pas vous dissimuler, mon Général, que si les personnes qui ont mal secondé dans le combat du 17 vous avaient mieux secondé dans celui du 12, vous eussiez immanquablement remporté une belle victoire. Vous risqueriez que l’on ne vous pardonna pas une troisième condescendance en faveur de gens qui ne sont pas susceptibles de servir le Roy. Vous me répondîtes que vous n’en aviez pas le droit ; je pris la liberté de vous répliquer que je n’étais que Capitaine de Vaisseaux, mais que si j’avais l’honneur de commander une Escadre comme la vôtre, je ne me laisserai pas tromper deux fois par des Capitaines qui m’auraient mal secondé la première ».


 
 
 
Titre plan de la bataille de Provedien
 

 


ESCADRE FRANCOISE



ESCADRE ANGLOISE




C
      MM.












a
Le Vengeur
64
de Forbin

L'Exeter 64 canons
b
L'Artésien
64
de Maureville

Le Sultan 74
c
L'Annibal angl.
56
de Gallu

L'Aigle 64
d
Le Sphinx
64
du Chilleau

Le Burford 64
e
Le Héros
74
Le Cher de Suffren

Le Monmouth 64
f
L'Orient 74
de la Pallière

Le Superbe 74 Amiral Hughes
g
Le Brillant
64
de St Félix

Le Monarque 74
h
Le Sévère
64
de Cillart

Le Magnanime 64
i
L'Ajax
64
Bouvet

L'Isis 56
k
L'Annibal
74
Le Cher Tromelin

Le Héros 74
l
Le Flamand
50
de Cuverville

Le Vorekester 64
m
Le Bizare
64
de la Landelle

Le Seahorse 22
n
La Pourvoyeuse
40
Lanugui Tromelin

Brûlot

o
La Fine
40
du Salvert

Contre chip

p
La Subtile
22
de Kermadec




q
Le Diligent
10
Macé




                                        
Provedien position1  



 
         L’Escadre du Roi était partie de Gondelour pour se rendre à Baticala, Ile de Ceylan, y attendre les débris de notre convoi dispersé relâché à Gallu. Elle fait rencontre le 9 avril de Celle des Anglois composée de 11 Vaisseaux de Guerre, deux frégates et un transport. On la chasse  aussitôt et, pendant trois jours de suite, elle se fait suivre avec l’avantage du Vent. Le quatrième, ayant dépassé la latitude du Port de Trinquemaley dans le Sud, à vue de Terre et Jour de vent, elle est enfin forcée au Combat. Le 12 à midi, l’Escadre s’est formée sur la ligne de combat au même bord que l’Ennemi, les vents petit frais de la partie du NE.- 1ère Position.
 











Provedien position2





             Les deux lignes formées parallèlement à deux portées de Canon, l’Escadre françoise au vent a laissé arriver en échéquier. Le Combat a commencé à 2h. 4min. –  2ème Position.










 
 Provedien position3 
 
   



            Une heure après le Combat commencé, le Vaisseau de l’avant du Général anglois a démâté de son Grand mât et de Celui d’artimon. L’Ennemi a fait porter et le Vaisseau désemparé est resté entre les deux Lignes. La nécessité de conserver ce Vaisseau a obligé l’Escadre angloise de virer de bord vent arrière tous en même temps, et la Notre a viré Egalement un quart d’heure après. Avant le Virement de bord, l’avant dernier vaisseau de la ligne angloise s’est porté sur le Vaisseau désemparé, lui a donné une remorque et l’a conduit dans sa Ligne, ce qui nous a fait perdre cet avantage. –  3ème Position.
 












Provedien position4 





              A 4h. ½, le Vaisseau l’Orient a fait signal d’incommodité. Le Brillant va à son secours, reste ¾ h. entre l’Ennemi et lui. Le Héros, démâté de son petit mât d’hune et de son perroquet de fougues, doit tenir le vent. La Ligne ne s’est formée de l’autre bord qu’avec quatre Vaisseaux qui ont suivi l’Ennemi et ont combattu jusqu’à la nuit. A 6h. 30m. Signal de lever le Combat –  4ème Position.
 












 Provedien position5     



             La Nuit Calme, les quatre Vaisseaux combattant ont viré de bord vent arrière pour rallier Le Gros de l’Escadre resté fort de l’arrière et hors de portée. Un orage et une pluie Considérable sont survenus. On a fait signal de mouiller à 8h. 15m., le fond n’étant que de 7 à 8 brasses, le Vent calme et variant à tous moment. –  5ème Position.
 
            On Renvoie à l’Extrait du Journal pour les Détails des Signaux et des Manœuvres particulières.
 




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